Tebboune plus isolé que jamais

La triste réalité de l’Algérie est un secret de polichinelle. Du citoyen lambda aux experts nationaux et internationaux, la gravité de la situation n’échappe à personne, tellement le fossé est de plus en plus grand entre un système hors du temps, et un peuple qui a perdu toutes ses illusions…mais également tout espoir de changement.

En ce sens, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Alger, Robert Ford, a élaboré une analyse publiée par le centre de réflexion américain spécialisé dans le Moyen-Orient, « The Middle East Institute », dans laquelle il rend compte de la situation d’une Algérie sans cesse au bord de la crise constitutionnelle, et de plus en plus fragilisée par la perte de la manne pétrolière.

Selon Robert Ford, les élections législatives en Algérie, massivement boycottées par le peuple algérien, « renforcent les divisions politiques » et laissent le président Tebboune « désormais plus isolé que jamais ».

Ce scrutin reflète la réalité d’un pays « tiraillé entre, d’un côté, un système politique dirigé par le président Abdelmadjid Tebboune et soutenu par l’armée qui refuse les changements profonds et, de l’autre côté, une population qui a perdu confiance dans l’ancien système », écrit le diplomate, aujourd’hui chercheur senior au Middle East Institute.

Il fait noter que « l’énorme mouvement de contestation de rue, connu sous le nom du Hirak, a réussi à obtenir un boycott généralisé de l’élection », d’où le niveau de participation le plus bas de l’histoire du pays. Après la certification des résultats qui ont « consacré l’ancien système », le pays aura à confronter ses « maux éternels ».

Manne pétrolière en perdition

Sur un autre registre, Robert Ford rappelle que « le secteur algérien des hydrocarbures anticipe une diminution de la production et des exportations, et donc une diminution des recettes publiques et des recettes en devises « .

En découlent, dit-il, que une forte chute des réserves de change du pays au cours des 10 dernières années et l’aggravation des problèmes permanents de chômage, de pénurie de logements et de pouvoir d’achat à mesure que le gouvernement fait face à des budgets plus serrés ou à la perspective d’emprunts lourds ».

« Le gouvernement a depuis longtemps reconnu le besoin urgent de développer de nouveaux secteurs pour réduire la dépendance au pétrole et au gaz, mais il n’a jamais été en mesure de créer un environnement réglementaire et un climat des affaires qui attirent de solides investissements nationaux et étrangers », déplore-t-il.

Et dans le même temps, ajoute l’expert, « la pandémie du Covid-19 perdure alors que le système de santé public, comme tous les services publics, en souffre ».

Urnes boudées

Revenant sur les dernières législatives, franchement boudées par le peuple, Robert Ford relève que la triste réalité est que « Tebboune et son prochain Premier ministre ne trouveront probablement pas beaucoup de nouvelles idées créatives de la part de leurs partisans au parlement ».

L’avenir s’annonce néanmoins sombre bien que « l’armée, Tebboune et leurs soutiens peuvent être rassurés d’avoir évité la crise institutionnelle imminente à laquelle l’Algérie est confrontée en 2019, lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre la réélection du président Bouteflika », souligne le diplomate.

Mais cette fois-ci, met-il en avant, « les forces de sécurité, pour l’instant du moins, ont réprimé les manifestations de rue du Hirak, intensifiant le harcèlement des journalistes indépendants, arrêtant des centaines et condamnant des dizaines d’activistes à la prison afin de dissuader de nouvelles marches ».

Tebboune et le gouvernement, donc, « iront de l’avant sans se soucier de l’opposition parce que le Hirak n’a jamais développé un leadership clair, ni un programme alternatif autour duquel les citoyens pourraient se regrouper », estime l’ancien ambassadeur.

Manque de légitimité renforcé

Poursuivant son analyse de la situation, Ford souligne que faute de l’émergence d’une nouvelle classe politique liée à la société civile algérienne et distincte de l’ancien système politique discrédité, « les résultats des élections du 12 juin ont enraciné cet ancien système ».

Il estime à cet égard que « même parmi les soi-disant indépendants qui ont remporté 78 sièges dans la nouvelle chambre basse, il y a beaucoup d’anciens membres de partis pro-gouvernementaux et ils ne représentent donc pas une grande rupture avec le passé ».

Ford rappelle à ce stade les constats de nombres d’experts et commentateurs qui font observer que les dernières élections censées sortir le régime de sa crise de légitimité, ont plutôt « renforcé le manque de légitimité ».

« Combien de temps encore l’armée algérienne continuera à soutenir un Tebboune isolé? », s’interroge-t-il en conclusion.

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